Les observateurs craignent de nouveaux actes de violence
Après 25 ans de règne à la tête du Cameroun, le régime du président Paul Biya, est de plus en plus confronté à des mouvements de protestation.
La constitution camerounaise stipule que l’actuel chef de l’Etat ne peut plus briguer un nouveau mandat en 2011.
Mais même s'il y a des voix discordantes au sein de sa propre formation, M. Biya devrait, sans difficulté la faire modifier car il contrôle d'une main de fer son parti, le Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC), majoritaire à l’Assemblée.
Certains observateurs craignent, dans ce contexte, une aggravation de la tension à l'image de ce qui s'est passé en Côte d'Ivoire et au Kenya.
Déjà, les émeutes qui ont secoué au mois de février les grandes villes du pays sont les pires que le pays a connu depuis près d'un quart de siècle.
Les manifestants protestaient contre la hausse des prix de l'essence.
Et après une grève générale de 48 heures, les autorités tentent de calmer la tension en décidant de revoir ces prix à la baisse.
En Vain. Les manifestations prennent ensuite une tournure politique.
Mboua Massock, initiateur de l'opération ''Villes mortes'', et qui a dirigé des mouvements de contestation contre le régime au début des années 90 est aussitôt arrêté.
De son côté, le principal parti de l’opposition de l'anglophone, John Fru Ndi du Social democratic front (SDF), exprime son hostilité à toute réforme de la constitution.
De nombreuses organisations de la société civile s'y opposent aussi.
Après plusieurs jours de pillages et de destruction, la police et plus tard l'armée ouvrent le feu sur les manifestants. Bilan officiel : près de 20 morts.
Beaucoup plus selon les associations de défense des droits de l’homme.
Pendant plus de 20 ans de règne, le Président Paul Biya a souvent utilisé la méthode forte pour étouffer les mouvements de contestation.
Lorsque les manifestations contre la modification de la constitution ont commencé, le gouverneur de la province du Littoral, Fai Yengo Francis, a tout simplement décidé d’interdire les rassemblements à Douala, la capitale économique.
Les manifestants en colère, réagissent en érigeant des barricades, ils détruisent des biens publics et se livrent à des actes de pillages.
Des médias sous contrôle
Les populations dénoncent la vie chère
Le régime exerce un contrôle sévère sur les médias.
Le ministre de la communication, Jean-Pierre Biyiti Bi Essam, n'a pas hésité à envoyer des soldats pour fermer deux stations de radio et télévision.
Il s'agit d’Equinoxe à Douala et de Magic Fm à Yaoundé.
Motif : les deux stations n'auraient pas payé la licence de 100 millions de Francs CFA, requise par le gouvernement.
Mais selon le rédacteur en chef d'Equinoxe, Charles Akoh, la raison se situe ailleurs.
Les autorités n'auraient pas apprécié la liberté de ton de la station lors des manifestations anti-gouvernementales.
Comme si cela ne suffisait pas, le ministre convoque aussi des responsables de certaines publications menaçant de fermer leurs journaux s'ils continuent à s’attaquer au gouvernement.
Au plus fort de la crise, le Président Paul Biya, affirme dans les medias d'Etat que l'opposition ''tente d'obtenir par la violence ce qu'elle n'a pas pu réaliser à travers les urnes'' et menace du coup de prendre des actions sévères contre les fauteurs de troubles.
Le dirigeant de l'opposition, M. Fru Ndi nie toute implication dans les troubles mais affirme son soutien aux manifestations contre la '' hausse injustifiée des prix de l'essence''.
La succession en question
Le Chef de l'Etat souhaite briguer un nouveau mandat
Aujourd’hui, le problème de la succession se pose avec acuité, car le Président Biya n'a visiblement pas de dauphin.
Après le coup d'Etat avorté de 1984, Bello Bouba Maigari, le premier ministre d'alors et probable successeur, avait été limogé du gouvernement et son poste supprimé.
Originaire de la province du Nord, Bello Bouba était soupçonné de soutenir l'ancien Président Ahmadou Ahidjo.
Après cet épisode, M. Bello Bouba s'enfuit au Nigeria. A son retour, il est nommé ministre des postes et des télécommunications.
Depuis, ses critiques contre le gouvernement se font rares.
Titus Edzoa, qui a été secrétaire général de la présidence et un confident de Paul Biya, démissionne de son poste de ministre de la santé en 1997 pour se présenter à la présidentielle mais il sera arrêté.
Aujourd’hui il est incarcéré pour détournement de fonds.
Ayissi Mvondo, qui voulait se présenter aussi contre Paul Biya est décédé dans des conditions jugées mystérieuses.
Célestin Monga, un économiste, très critique contre les politiques économiques du président, a échappé à un procès; il vit aujourd’hui en exil.
Tous les détracteurs du régime sont considérés comme des personnages antipatriotiques.
En février dernier, le Président les a accusé de manipuler les jeunes, les qualifiant ''d'apprentis sorciers''
Un mois de grève générale et une tension de plus en plus forte depuis jeudi, jour de rupture des négociations. La violence s'est immiscée lundi pour ne cesser ensuite de s'amplifier. Jusqu'à la nuit dernière, où ce qui était redouté est arrivé: un syndicaliste a été tué par balle par des jeunes manifestants qui tenaient un barrage à Pointe-à-Pitre, selon la préfecture. Confirmée par l'AFP, l'information a été révélée ce mercredi matin par Europe 1:
"Vers 00h30, un homme dune cinquantaine dannées a été mortellement touché par balle au thorax, alors quil était au volant dune voiture, dans la cité Henri IV, présentée comme un quartier sensible de Pointe-à-Pitre. Son passager na pas été blessé mais fortement choqué. Les deux hommes sortaient dune réunion syndicale."
Toute cette nuit de mardi à mercredi, la Guadeloupe aura été le théâtre de violences. Trois policiers et trois gendarmes ont été légèrement blessés. Et la préfecture a publié le décompte des exactions: 15 commerces pillés, 7 établissements incendiés, 21 véhicules brûlés, 13 interpellations et une soixantaine d'interventions de pompiers.
Jégo s'enlise, Alliot-Marie sort enfin du silence
Des violences nées des tensions provoquées par les deux camps. Le gouvernement d'abord. Après un retard à l'allumage de quinze jours, les deux voyages d'Yves Jego, secrétaire d'Etat à l'Outre-mer, ont été un échec. Surtout, la principale revendication qu'est la revalorisation des bas salaires a été l'objet de toutes les incompréhensions. Elle n'a finalement pas été accordée. L'épisode n'aura qu'exacerbé un peu plus encore les tensions.
Depuis, les incidents se sont multipliés, comme le montrent ces photos prises lundi à Sainte-Rose par la journaliste Tatiana Kalouguine, après des incidents entre manifestants et gendarmes moblies, qui ont dû tirer des grenades fumigènes:
Pour voir le diaporama en plein écran, cliquez ici
Le costume apparaît trop grand pour Yves Jégo, qui, durant cette nuit de mardi à mercredi, a montré une nouvelle fois son absence de discernement. Il a d'abord déclaré à chaud aux agences que le syndicaliste avait été "manifestement assassiné par les émeutiers". Avant d'envoyer une correction quelques heures plus tard:
"Les éléments actuellement en notre possession ne permettent pas de savoir s'il s'agit d'un meurtre ou d'un assassinat..."
C'est donc l'ensemble du gouvernement qui essaye désormais de se montrer mobilisé. Une promesse de campagne de Nicolas Sarkozy a été sortie des placards, avec la création prochaine d'un comité interministériel consacré à la question. Et Michelle Alliot-Marie, la ministre de l'Intérieur... et de l'Outre-mer (!), sort enfin de son silence et tiendra ce mercredi une réunion consacrée à la sécurité publique aux Antilles.
Mais les syndicats locaux sont également montrés du doigt. Si Elie Domota, le leader du LKP, à l'origine de la grève générale, a appelé au calme, cette nuit sur la radio RCI ("ne mettez pas votre vie en danger, ne mettez pas la vie des autres en danger"), il est aussi l'auteur de déclarations lourdes de sens, comme ce mercredi encore dans Libération:
"Depuis quatre semaines, l'Etat fait venir des charters de gendarmes pour casser du nègre."
Addendum le 18/02/2009 à 17h35. Lors d'une conférence de presse ce jeudi, le procureur de Pointe-à-Pitre Jean-Michel Prêtre a raconté le drame selon les premiers éléments de l'enquête.
La voiture du syndicaliste tué a subi trois tirs, dont les deux premiers ont visé le côté arrière-droit du coffre de la voiture et le troisième, mortel, a été "tiré par la fenêtre ouverte du passager assis à l'avant droit".
"Ce ne sont pas des balles perdues", a-t-il souligné. Avant de préciser qu'il n'y avait "pas de forces de police positionnées à proximité" au moment des tirs, mais que "toutes les hypothèses sont ouvertes".
Photo: à Pointe-à-Pitre, le 17 février (Gilles Petit/Reuters)
A lire aussi sur Rue89 L'édito de Rue89: Paris doit éviter tout recours à la force Le manifeste des neuf intellectuels antillais 4000 policiers en Guadeloupe? Non, 175 gendarmes mobiles Tous les articles de Rue89 sur la Guadeloupe
Ailleurs sur le Web "Je n'ai jamais vu des gens aussi violents", sur Canal 10, via YouTube L'actualité des manifestations sur domactu.com